Transcription d’une conversation enregistrée entre le Pr Davies, M. Davies, le Pr Ratcliff et Ms Longman. Transcription en date du 14/1/2001

Lieu non spécifié ; bruits suggérant un hôpital, une chambre privée plutôt qu’une salle commune.

Bande audio/vidéo enregistrée non disponible. Ratures et omissions d’origine, sur la retranscription.

Bande d’observation ████████

Autorité ████████

[chuintements de la bande]

[bruit d’un interrupteur électrique]

WILLIAM DAVIES

[Inaudible] un homme atteint d’épilepsie photosensible ne devrait pas regarder la télévision.

VAUGHAN DAVIES

En effet. Cependant, un homme qui n’a pas conscience des soixante dernières années le devrait. J’avoue que je suis stupéfait. Je trouvais les goûts populaires dépravés dans les années trente. Ceci n’est de la distraction de masse à son niveau le plus vil.

PIERCE RATCLIFF

Permettez-moi de me présenter, professeur Davies… [indéchiffrable : bruit de fond dans la pièce]

VAUGHAN DAVIES

Vous êtes Ratcliff. Oui. Si je puis me permettre, vous en avez mis du temps avant de venir me voir. Je vois à vos publications précédentes que vous êtes un esprit doté d’un certain degré de rigueur dans le raisonnement. Puis-je avoir le plaisir de supposer que vous avez traité mon travail avec une intelligence convenable ?

PIERCE RATCLIFF

Je l’espère.

VAUGHAN DAVIES

L’espoir fait vivre, professeur Ratcliff. Je crois que j’aimerais bien un peu de thé. Ma chère, croyez-vous que vous pourriez vous en charger ?

ANNA LONGMAN

Je vais demander à l’infirmier s’il peut s’en occuper.

VAUGHAN DAVIES

William, tu devrais peut-être…

WILLIAM DAVIES

Ne fais pas attention à moi. Je suis très bien, ici.

VAUGHAN DAVIES

Je préférerais discuter avec le Pr Ratcliff en privé.

[Indéchiffrable : Bruits dans la pièce, des voix à l’extérieur]

ANNA LONGMAN

[Inaudible] du café, à la cafétéria ici. Vous avez besoin de votre canne ?

WILLIAM DAVIES

Grand Dieu, non. Ce n’est qu’une affaire de quelques mètres.

[Indéchiffrable : la porte s’ouvre et se referme ?]

VAUGHAN DAVIES

Professeur Ratcliff, j’ai discuté avec cette jeune femme. Vous voudriez bien être assez aimable pour me dire où vous étiez pendant, si j’ai bien compris, l’essentiel des trois dernières semaines ?

PIERCE RATCLIFF

Jeune femme ? Oh. Anna a dit que vous sembliez vous inquiéter pour moi.

VAUGHAN DAVIES

Répondez à ma question, s’il vous plaît.

PIERCE RATCLIFF

Je ne vois pas ce que ça vient faire ici, professeur Davies.

VAUGHAN DAVIES

Bon sang, jeune homme, est-ce que vous allez répondre quand on vous pose une question ?

PIERCE RATCLIFF

J’ai bien peur de ne pas pouvoir dire grand-chose.

VAUGHAN DAVIES

Avez-vous à un moment donné dans le passé récent mis votre vie en danger ?

PIERCE RATCLIFF

Hein ? Si j’ai quoi ?

VAUGHAN DAVIES

C’est une question tout à fait sérieuse, professeur Ratcliff, et je vous serais obligé de la traiter comme telle. Je donnerai des éclaircissements en temps utile.

PIERCE RATCLIFF

Non. Je veux dire. Enfin, non.

VAUGHAN DAVIES

Vous êtes rentré de votre expédition archéologique…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Pas la mienne. Celle d’Isobel. Du Pr Napier-Grant, je veux dire.

VAUGHAN DAVIES

Que de femmes. Apparemment, nous avons subi une énorme décadence. Passons. Vous êtes rentré d’Afrique du Nord ; vous n’avez à aucun moment couru le danger d’un quelconque accident ?

PIERCE RATCLIFF

Si je l’ai été, je n’en ai pas eu conscience. Professeur Davies, je ne vous comprends vraiment pas.

VAUGHAN DAVIES

La jeune femme m’a raconté que vous aviez lu le manuscrit de Sible Hedingham. Que cette traduction quelque peu personnelle est votre œuvre.

PIERCE RATCLIFF

Oui.

VAUGHAN DAVIES

Alors, ce qui s’est passé ici devrait être clair même pour une intelligence médiocre ! Vous étonnez-vous que je manifeste de l’inquiétude envers un collègue professionnel ?

PIERCE RATCLIFF

À franchement parler, professeur Davies, vous ne me donnez pas l’impression d’être un homme qui se soucie beaucoup de son prochain.

VAUGHAN DAVIES

Non ? Non. Vous avez peut-être raison.

PIERCE RATCLIFF

Si je ne suis pas venu plus tôt, c’est qu’on m’interviewait…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Qui ça ?

PIERCE RATCLIFF

Je ne pense pas qu’il soit sage d’en dire trop pour le moment.

VAUGHAN DAVIES

Est-il possible qu’un membre de votre expédition archéologique ait eu un accident ? Un accident d’automobile, ou quelque chose de nature comparable ?

PIERCE RATCLIFF

L’expédition d’Isobel. Non. Isobel m’en aurait parlé. Je ne vois pas le rapport qu’il y a avec le manuscrit de Sible Hedingham.

VAUGHAN DAVIES

Au vu de ce document, ce qui nous est arrivé est clair.

PIERCE RATCLIFF

La fracture dans l’histoire, oui.

[inintelligible]

[inaudible] ce que vous avez écrit dans votre Addendum à la deuxième édition, si vous l’avez bel et bien écrit ?

VAUGHAN DAVIES

Oh, je l’ai écrit, professeur Ratcliff. Je l’avais en poche quand j’ai fait le voyage à Londres. N’importe quel éditeur sensé aurait quitté Londres durant le bombardement allemand, mais pas…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Si nous pouvions revenir à ceci. Vous avez lu le document de Sible Hedingham, vous avez évoqué dans vos écrits la fracture, et la « première histoire »…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Oui, et à l’évidence, il fallait publier de toute urgence. J’avais été tellement près de la vérité dans mon édition des documents Cendres. Il était évident pour moi après le document de Sible Hedingham que la Bourgogne nous avait été, si l’on peut dire, retirée. Transportée vers un niveau de la matière que nous ne pouvons pas encore détecter…

Une idée séduisante : peut-être sommes-nous capables de la détecter, à présent ?

PIERCE RATCLIFF

Il y a des expériences en cours dans le domaine de la physique des particules et de la théorie des probabilités, oui.

VAUGHAN DAVIES

Vous en êtes arrivé aux mêmes conclusions que moi. Il semble être acquis qu’avant cette fracture, nous étions capables de faire consciemment ce que d’autres formes de vie font inconsciemment.

PIERCE RATCLIFF

Effondrer l’improbable et le miraculeux pour en tirer le réel. Le monde matériel.

[silence]

Mais ça m’a laissé perplexe ! L’univers est réel, oui, nous le voyons. Mais l’univers est incertain. Depuis Heisenberg, nous le savons ; au niveau subatomique, les choses sont floues. En observant une expérience, on en change les résultats. On peut savoir l’emplacement d’une particule, ou sa trajectoire ; jamais les deux à la fois. Ce n’est pas du solide, ce n’est pas réel à la façon dont le manuscrit en parle…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Si vous pouviez être assez aimable d’arrêter d’aller et de venir.

PIERCE RATCLIFF

Excusez-moi. Mais je le vois : il est réel. Ce que la Bourgogne fait, c’est nous garder cohérents. Ce qui était incertain aujourd’hui sera incertain de la même façon, demain ! C’est l’irréalité effrénée qu’elle empêche. L’aléatoire. Notre existence n’est peut-être pas parfaite, mais au moins, elle est cohérente.

VAUGHAN DAVIES

Bien entendu, auparavant, nous aurions été consciemment capables d’annuler cette stabilisation, cette cohérence.

[silence]

Si vous prenez le XXe siècle en considération, professeur Ratcliff – et pour ma part, au moins, je considère sa deuxième partie avec les yeux d’un étranger –, vous ne pouvez pas prétendre que nous sommes dans le meilleur des mondes possibles. L’homme semble avoir pour destin de souffrir, dans l’ensemble. Mais c’est une réalité cohérente. Le mal que crée l’humanité se limite au possible. Nous avons beaucoup de raisons de nous sentir reconnaissants !

PIERCE RATCLIFF

Un exemple évident. J’y ai réfléchi. Imaginez ce qu’Hitler aurait fait aux juifs s’il avait été un faiseur de miracles, un homme capable de manipuler littéralement le tissu de la réalité. Il n’y aurait que des Aryens blonds. Il n’y aurait jamais eu de race juive. Un Holocauste pire que l’Holocauste.

VAUGHAN DAVIES

Quel Holocauste ?

[silence]

PIERCE RATCLIFF

Peu importe. Il y aurait eu des recherches militaires. Des gens sélectionnés pour devenir des armes. Comme Cendres, oui, comme Cendres. Une bombe à probabilités… pire qu’une bombe nucléaire.

VAUGHAN DAVIES

Nucléaire ? Une bombe nucléaire ?

PIERCE RATCLIFF

C’est… euh, difficile, c’est une… une bombe qui…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Rutherford ! Il y est parvenu, finalement !

PIERCE RATCLIFF

Oui… non… peu importe. Écoutez.

[silence]

VAUGHAN DAVIES

C’est un des paradoxes les plus intéressants, vous ne trouvez pas ? Que la guerre, en vertu de la pensée organisée requise pour la mener, renforce la nature d’une réalité rationnelle… alors qu’en même temps, la destruction qu’elle provoque conduit au chaos.

PIERCE RATCLIFF

C’est pour ça qu’elle comprenait, n’est-ce pas ?

VAUGHAN DAVIES

Cendres ? Oui, je le crois.

PIERCE RATCLIFF

Je n’arrivais pas à comprendre, voyez-vous. Jusqu’à ce que je comprenne que la Bourgogne est toujours là, qu’elle continue à agir comme elle l’a toujours fait. Elle est présente dans notre esprit collectif, et dans notre inconscient, sous forme d’un pays perdu, et doré. Mais en même temps, elle existe de façon tout à fait authentique, scientifiquement vérifiable, à un autre niveau de la réalité, et elle continue d’accomplir sa fonction.

VAUGHAN DAVIES

Professeur Ratcliff, avez-vous conscience d’une raison possible du retour des choses ?

PIERCE RATCLIFF

Je conçois comment des objets ont pu subsister. Aucun processus n’est parfait, l’univers est grand et complexe, et ce que Cendres et les Machines sauvages ont accompli… rien d’étonnant si une partie des éléments de la première histoire n’a pas été expurgée. La réalité possède son inertie propre. Elle a graduellement expulsé les choses… les objets deviennent légendaires, mythiques, fictifs.

VAUGHAN DAVIES

Le témoignage du manuscrit.

PIERCE RATCLIFF

Une statue par ici, un casque par là. Les paroles de Cendres qui se retrouvent dans la bouche de quelqu’un d’autre. Tout cela, je peux le comprendre. Il y a eu une fracture unique, elle a eu l’effet qu’elle a eu, et nous en voyons les traces alors qu’elles… s’effacent.

VAUGHAN DAVIES

La fausse histoire qui est apparue avec la fracture – au cours de laquelle, par exemple, Charles le Téméraire meurt à l’issue d’un siège, mais à Nancy – comporte çà et là des fragments de l’histoire véritable en inclusion. Par exemple, les chroniques que la famille del Guiz aurait écrites, après 1477.

PIERCE RATCLIFF

Pas comme elles existaient avant la fracture, mais comme elles auraient existé, si l’histoire s’était simplement poursuivie. Une trace vieille de cinq cents ans, s’évaporant par les interstices de l’histoire. Le manuscrit Fraxinus également. Il aurait très raisonnablement pu exister.

VAUGHAN DAVIES

Oui, c’est tout à fait clair. Je me demande, professeur Ratcliff, si vous percevez toute la signification du document de Sible Hedingham à ce titre ?

PIERCE RATCLIFF

Vous me rappelez énormément mon vieux professeur, si vous ne m’en voulez pas de dire ça, professeur Davies. Il avait la même façon de me poser des questions pièges.

VAUGHAN DAVIES

Savez-vous ce qui est le plus étrange, pour moi ? Vous m’accordez le respect que vous estimez dû à un aîné. Dans ma tête, professeur Ratcliff, je suis plus jeune que vous.

[Inintelligible : bruits de circulation – une fenêtre ouverte ? Bruit de fond de la bande. Un silence avant que la conversation reprenne.]

PIERCE RATCLIFF

Le document de Sible Hedingham est plus improbable. C’est ce que Cendres aurait écrit… non, il aurait fallu qu’elle le dicte à quelqu’un… mais après 1477, après la fracture. Peut-être a-t-il été abandonné en Angleterre, après une visite au comte d’Oxford.

VAUGHAN DAVIES

Professeur Ratcliff, j’avais l’intention de vous mettre en garde, et je vais le faire, à présent. La raison possible du retour des objets. Ma théorie est que la réapparition de ces artefacts hautement improbables est une conséquence d’un certain échec de la Bourgogne à exécuter sa fonction.

PIERCE RATCLIFF

J’avais pensé… Je craignais que… Oui. Des événements improbables, des choses qui ne sont pas rationnelles, prévisibles. Mais… pourquoi y aurait-il détérioration ? Et pourquoi maintenant ?

VAUGHAN DAVIES

Pour cela, vous devez comprendre comment la Bourgogne perdue remplit son rôle ; et je pense, puisque j’ai soixante ans de retard sur les progrès scientifiques actuels, que je ne suis pas qualifié pour avancer une théorie. Ce que je vais faire, si vous me le permettez, c’est formuler une mise en garde.

PIERCE RATCLIFF

Pardon. Oui. Je vous en prie. De quoi s’agit-il ?

VAUGHAN DAVIES

Ce qui m’est arrivé, m’est arrivé à cause du manuscrit de Sible Hedingham. Je l’ai découvert au château d’Hedingham, fin 1938. J’ai la conviction qu’il n’avait pas… pas beaucoup existé, si vous voulez… avant ce moment.

PIERCE RATCLIFF

Un effondrement local de la vague de probabilité. Un artefact qui devient réel.

VAUGHAN DAVIES

Exactement comme en Afrique du Nord, il y a quelques mois.

PIERCE RATCLIFF

Carthage.

VAUGHAN DAVIES

Je séjournais chez mon frère pour achever ma seconde édition, et je me documentais sur les Oxford, à cause du lien entre les de Vere et Cendres. J’émets à présent la théorie que le manuscrit de Sible Hedingham s’est réifié, si vous voulez, peu après mon arrivée. J’ai volé le manuscrit…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole, indigné]

Volé !

VAUGHAN DAVIES

Ils ne voulaient pas le vendre, ni me permettre de l’étudier, que voulez-vous que je fasse d’autre, je vous prie ?

PIERCE RATCLIFF

Eh bien, je… Vous n’auriez pas… Enfin, je ne sais pas.

VAUGHAN DAVIES

J’ai volé le manuscrit, et je l’ai lu. Je connais mieux le latin que vous, si vous me permettez de le dire. Puisque le processus d’impression était trop avancé pour inclure le manuscrit de Sible Hedingham, j’ai rédigé mon Addendum, ainsi que les conclusions évidentes, et j’ai pris rendez-vous pour aller le livrer chez mes éditeurs à Londres. J’avais envisagé d’arranger la publication d’une édition révisée, qui aurait inclus le nouveau manuscrit. [Silence] Je me suis retrouvé pris dans un raid de bombardement. Une bombe est tombée très près de moi, je pense. J’aurais pu être tué. J’aurais pu m’en tirer.

Au lieu de tout cela, je me suis retrouvé irréel. Improbable. Potentiel.

PIERCE RATCLIFF

Mais qu’est-ce que ça a à voir avec le manuscrit ?

VAUGHAN DAVIES

Tout simplement, je postule l’existence d’un champ d’énergie, une sorte de radiation, qui accompagne l’effondrement d’une probabilité qui devient réalité ; lorsque quelque chose de très improbable se réifie, l’énergie irradiée n’en est que plus forte.

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Il pourrait ne pas s’agir d’une radiation, à proprement parler.

VAUGHAN DAVIES

Est-ce que vous allez me laisser achever ? Merci. Quoi que ce soit, un genre de phénomène subatomique ou une énergie, j’y ai très certainement été exposé. Je pense que c’est d’autant plus fort que l’artefact est devenu réel plus récemment. L’exposition a en quelque sorte déstabilisé ma propre réalité. J’étais ignorant de tout cela à l’époque où j’ai trouvé le manuscrit, bien entendu. Ensuite, avec ce bombardement, avec ce point où le front de vague devait s’effondrer de manière radicale pour moi – j’allais vivre ou j’allais mourir – la déstabilisation est devenue aiguë. Je suis devenu, et je suis resté, un objet potentiel.

PIERCE RATCLIFF

Et vous me mettez en garde… parce que j’ai été sur les sites de Carthage.

VAUGHAN DAVIES

Oui.

PIERCE RATCLIFF

Je suis incapable de dire si… Il n’y a aucun moyen de le savoir… Des tests. Peut-être des tests, je ne sais pas lesquels.

VAUGHAN DAVIES

Si ce que j’appellerai votre cohésion a été affecté, vous êtes peut-être en danger.

PIERCE RATCLIFF

Si l’effet s’estompe avec l’ancienneté de la réification de l’artefact, alors, je ne suis peut-être pas… affecté. Il n’y a aucun moyen de le savoir, si ? À moins que je n’aie vraiment un accident, ou que j’atteigne un point de décision… Ce qui vous est arrivé pourrait m’arriver. À Isobel. Aux autres. Comme ça pourrait ne jamais se produire.

VAUGHAN DAVIES

Nous devons espérer qu’on développera un test afin de le déterminer. J’y travaillerais bien moi-même, mais j’ai conscience de ne plus être celui que j’ai été. C’est une chose étrange que de vivre la jeunesse et la vieillesse, pas la maturité. [Silence] J’ai le sentiment d’avoir été volé.

PIERCE RATCLIFF

Je n’en saurai rien, n’est-ce pas ? Si j’ai été exposé.

VAUGHAN DAVIES

Professeur Ratcliff !

PIERCE RATCLIFF

Excusez-moi.

VAUGHAN DAVIES

Espérons qu’il ne vous arrivera aucun accident, professeur Ratcliff.

PIERCE RATCLIFF

Ça fait. [Silence] Un peu un choc.

[Long silence. Bruits de fond]

PIERCE RATCLIFF

Il y a actuellement des gens qui effectuent des expériences sur les probabilités, à très petite échelle. Deux organismes gouvernementaux m’ont soumis à un débriefing. Les Américains sont venus me chercher sur le navire en Méditerranée. Le jour de Noël ! C’était effrayant. J’ai été interrogé sur plusieurs jours. Ils en ont encore après moi. Je sais que ça ressemble à de la paranoïa…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

On accomplit des avancées théoriques ?

PIERCE RATCLIFF

Des collègues d’Isobel… ils ont l’air de le penser. Je doute de pouvoir leur parler sans attirer encore plus l’attention de la sécurité. J’ai simplement l’impression… si vous avez raison… on devrait leur dire… quelqu’un devrait vous examiner ! [Silence] Moi aussi.

VAUGHAN DAVIES

Je me prêterai volontiers à des études, si cela nous amène plus près de la vérité.

PIERCE RATCIFF

Est-ce que la Bourgogne échoue actuellement à stabiliser les probabilités ? Et pourquoi maintenant ?

[Accroissement du bruit de fond. Un spécialiste entre ; conversation médicale supprimée. Bruit de porte. Long silence.]

VAUGHAN DAVIES

[inaudible] ces affronts mineurs qu’inflige la profession médicale. Pas étonnant que William soit devenu médecin. Professeur Ratcliff, je sais à quoi l’incident du manuscrit fait référence. Je sais ce qu’est devenue la Bourgogne, en ce sens.

PIERCE RATCLIFF [Silence]

Comment pouvez-vous le savoir ? Certes, nous pouvons spéculer, émettre des théories, mais…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Je suis peut-être le seul homme vivant qui a une raison de dire que je le sais.

[Silence. Bruit de papiers que l’on remue ?]

PIERCE RATCLIFF

Vous avez une histoire documentée, vous savez. Asiles, hôpitaux.

VAUGHAN DAVIES

Professeur Ratcliff, vous savez que je dis la vérité. J’ai existé pendant les soixante dernières années dans, si vous voulez, l’état brut de l’univers. Les possibilités infinies, avant que l’esprit collectif de l’homme les fasse s’effondrer en une réalité unique. Pour moi, ça a été un moment qui a duré un temps infini et n’a rien duré du tout. J’aurais besoin d’être théologien pour décrire, avec précision, ce moment d’éternité.

PIERCE RATCLIFF [avec agitation]

Qu’est-ce que vous êtes en train de me dire ?

VAUGHAN DAVIES

Pendant que je me trouvais dans cet état d’existence – bien que le mot « pendant » soit impropre, puisque cela sous-entend un écoulement de temps, mais peu importe –, tandis que j’existais, de façon purement potentielle, j’ai perçu que, parmi les infinies possibilités du chaos, existait un autre état d’ordre.

PIERCE RATCLIFF

Au niveau subatomique ? Vous avez vu…

VAUGHAN DAVIES

J’ai constaté que j’avais vu juste. Cela ne m’a guère surpris. Voyez-vous, moi, j’avais émis la théorie que la lignée de Bourgogne, si nous pouvons désormais la baptiser ainsi, jouait un rôle d’ancre ou de filtre, empêchant toute capacité à manipuler les événements quantiques. Ce qu’on pourrait appeler des miracles ou des prières. Et de la même façon, la Bourgogne idéale…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Le soleil. Et le soleil ?

VAUGHAN DAVIES

Le soleil ?

PIERCE RATCLIFF

Au-dessus de la Bourgogne ! Ils ne savaient pas pourquoi, je ne sais pas… il aurait dû être… Si les Machines sauvages étaient la réalité telle que nous concevons la réalité. Des structures complexes de composés de silicium pourraient donner naissance à une chimie organique, à de véritables êtres…

[silence]

Alors, il aurait dû faire nuit.

VAUGHAN DAVIES

Ah. Ah, je comprends, à présent. Vous me décevez, professeur Ratcliff.

PIERCE RATCLIFF

Je vous… déçois… [bruit]

VAUGHAN DAVIES

[inaudible]… si je puis continuer ?

[silence]

Non, je m’imaginais que vous le verriez tout de suite… comme l’a fait Léofric, bien qu’il l’ait conceptualisé avec les termes de sa propre culture. J’ai pour théorie que les Feræ Natura Machinæ provoquent une disjonction quantique initiale dès que le soleil s’éteint. En Bourgogne, le Réel est préservé… la Bourgogne maintient l’état précédent plus plausible. Le monde extérieur est scientifiquement réel, si vous tenez à formuler ça en termes aussi simplistes, mais c’est une réalité subséquente. La Bourgogne constitue déjà une bulle quantique : commence déjà à être la Bourgogne idéale.

[silence]

Professeur Ratcliff ?

PIERCE RATCLIFF

Et… oh, je… Et quand les cieux s’assombrissent à la mort du duc…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Précisément ! Les deux réalités quantiques désynchronisées essaient d’entrer en conjonction. Les Feræ Natura Machinæ luttant pour imposer la leur avec la Faris, d’en faire la seule qui soit ! Quoique je devrais plutôt, sans doute, parler de réalités entrelacées…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Les Machines sauvages, qui forcent leur version de la réalité, leur version quantique, et cela échoue à Dijon, et ensuite, avec Cendres…

[silence]

J’aurais dû m’en apercevoir. Aucune réalité n’est privilégiée par rapport à une autre, elles sont toutes réelles… sauf que certaines sont moins possibles, plus difficiles à faire naître… plus faciles à arrêter…

VAUGHAN DAVIES

Précisément. Ratcliff, je sais ce qu’a fait Cendres. Elle a déplacé la Bourgogne…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Un changement de phase…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole] L’a modifiée à un niveau profond, pour la plonger – ou pour l’avancer – jusqu’à l’endroit où la réalité se solidifie. Ratcliff, vous devez bien comprendre ça. Elle a placé la Bourgogne, et la nature de la Bourgogne, en avant de nous… Peut-être d’une fraction de seconde seulement…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

L’a déplacée… d’une nanoseconde…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Où le Possible devient Réel, se trouve la Bourgogne. Je l’ai vue. Voilà ce qui nous a préservés, voilà ce qui a conservé pour nous la cohérence de l’univers. La nature de la Bourgogne, qui remplit un rôle d’ancre ou de filtre…

PIERCE RATCLIFF [lui coupe la parole]

Si bien que la capacité d’effondrer consciemment le front de vague ne peut jamais réapparaître ; c’est trop improbable…

VAUGHAN DAVIES [lui coupe la parole]

Pendant des siècles après sa disparition, aucun historien n’a parlé de la Bourgogne. Avec Charles Mallory Maximillian, nous commençons à nous remémorer.

Mais nous ne nous souvenons pas, nous percevons. Nous percevons que la Bourgogne perdue existe dans notre inconscient racial, comme une image mythique ; et elle existe là, parce qu’elle possède une véritable existence, scientifiquement vérifiable, comme une partie de notre réalité, plus proche par une fraction de l’instant du Devenir.

PIERCE DAVIES

La Bourgogne… toujours là, en réalité.

VAUGHAN DAVIES

Et dire que je m’étais imaginé que vous aviez une certaine intelligence. Oui, professeur Ratcliff, la Bourgogne a toujours « été là ». Prisonnière d’un éternel moment doré, et agissant comme un guide, un régulateur ou un répresseur, si vous voulez bien me pardonner cette image mécanique. Elle filtre la réalité dans l’esprit collectif. Elle nous a gardés réels. Est-ce assez clair pour vous ?

PIERCE RATCLIFF

Qu’avez-vous perçu ? À quoi, [silence] À quoi est-ce que cela ressemble, en Bourgogne, actuellement ? J’avais commencé à me demander ce que cela pouvait être, [silence] Une cour sans fin, un tournoi sans fin, une chasse. Peut-être la guerre, dans la forêt sauvage. Une guerre comme métaphore vivante, pour défaire les improbabilités qui attaquent par l’extérieur.

VAUGHAN DAVIES

Non. Ce n’est pas ce que j’ai perçu. La Bourgogne ne connaît pas la durée. Ils sont figés dans le moment éternel d’une action. Celle de rendre réel un monde cohérent.

PIERCE RATCLIFF

Cendres ? Florian ? Et le reste ?

VAUGHAN DAVIES

Curieux que vous vous concentriez sur les gens. Cela vient d’une formation purement historique, je suppose, et d’une absence de conceptualisation scientifique. J’ai sans doute eu du front de vague des probabilités une perception beaucoup plus significative. Toutefois, il est exact que j’ai perçu des esprits, dans cet état d’existence.

PIERCE RATCLIFF

Vous avez pu les reconnaître ?

VAUGHAN DAVIES

Je crois, oui. Je pense que c’étaient les gens évoqués dans le manuscrit de Sible Hedingham. Vous ne pouvez pas comprendre. Il n’y a pas de durée, pas d’action : rien que l’être. La Bourgogne ne guide pas le Réel par ce qu’elle fait. Elle n’a rien à faire. Elle fonctionne en étant ; par la vertu de ce qu’elle est.

PIERCE RATCLIFF

Un genre d’enfer. Pour les esprits, je veux dire.

VAUGHAN DAVIES

Je suis ici pour vous dire, professeur Ratcliff, que vous avez parfaitement raison sur ce point. Ce que j’ai vécu était un séjour infini en enfer. Ou au paradis.

PIERCE RATCLIFF

Ou au paradis ?

VAUGHAN DAVIES

Au sens où j’ai directement perçu le Réel, dont nous sommes les ombres. Grand Dieu, mon garçon, est-ce que personne ne lit plus Platon ?

PIERCE RATCLIFF

Une Bourgogne « idéale », c’est de ça que vous parlez ?

VAUGHAN DAVIES

La Bourgogne existe au sein du Réel, et en gouverne la forme. Elle est, ou a été, la seule véritable réalité, dont nous sommes l’ombre imparfaite. Tout cela se trouve chez Platon.

PIERCE RATCLIFF

Platon n’était pas un physicien théorique.

VAUGHAN DAVIES

Ces choses ont tendance à imprégner l’esprit collectif. Elles se trouvent dans notre sang, à un niveau plus profond que l’inconscient de Freud. L’inconscient collectif de Jung, peut-être. Un niveau aussi profond et aussi involontaire que la transmutation des cellules dans notre corps. Il n’est pas surprenant que notre esprit mythique produise des images fantomatiques, des ombres du Réel. Après tout, nous nous rappelons bel et bien la Bourgogne.

PIERCE RATCLIFF

Nous nous en souvenons à présent. Un peu pendant le XVe siècle, puis la première édition de Charles Mallory Maximillian ; ensuite, vous ; et enfin moi, et Carthage et…

VAUGHAN DAVIES

[inintelligible, faible]

PIERCE RATCLIFF

[inaudible] échoue graduellement dans sa fonction. Êtes-vous certain que c’est ce que vous avez vu ? Cinq cents ans après ce qu’elle a fait, la Bourgogne commence à faiblir, à faillir ? C’est bien ça ?

VAUGHAN DAVIES

Oui, j’en suis certain.

[longue pause. Chuintement de la bande. Bruits de pas. Une porte s’ouvre et se referme.]

PIERCE RATCLIFF

Désolé. Il fallait que j’aille faire un tour.

VAUGHAN DAVIES

Le tissu chaotique de l’univers est solide. Peut-être finit-il par reprendre le dessus, quoi qu’on puisse faire.

PIERCE RATCLIFF

Alors, elle a fait tout ça pour rien.

VAUGHAN DAVIES

Cinq cents ans, professeur Ratcliff. Tout est terminé depuis cinq cents ans.

PIERCE RATCLIFF [grande agitation]

Mais non. Pas si vos perceptions étaient correctes. Cela a duré un moment éternel, infini. Et à présent, cela échoue. Ça échoue maintenant. Maintenant !

VAUGHAN DAVIES

En ce sens, oui. Vos réapparitions archéologiques, à Carthage. Ce manuscrit. Et moi-même, je crois. Ma réintégration dans le Réel est une fonction de l’affaiblissement de la Bourgogne perdue. Forcément. Il ne peut pas y avoir d’autre explication.

PIERCE RATCLIFF

On se livre actuellement à des expériences sur la probabilité. Seulement au niveau de l’infiniment petit, mais… serait-ce la raison ? À votre avis ? Est-ce que c’est nous qui les déstabilisons ? J’ai besoin… Non, les gens d’Isobel ne m’en parleront pas, pas avec le verrouillage de sécurité.

VAUGHAN DAVIES

Une trajectoire de cinq cents ans pour nous, un instant pour la Bourgogne perdue. Un instant qui s’achève, maintenant. L’univers est vaste, puissant, chaotiquement impératif, professeur Ratcliff. Il devait finir par réinstaurer sa prééminence.

PIERCE RATCLIFF

Que se passera-t-il lorsque la Bourgogne faillira finalement ? La fin de la causalité ? Une augmentation de l’entropie, des miracles ?

VAUGHAN DAVIES

On subit une intéressante batterie de tests dans ce pavillon. Entre les tests, on se retrouve face à un temps considérable. J’en ai consacré une grande partie – quoi qu’en dise William, qui s’imagine que je regarde cette boîte télévisuelle – à analyser ce que pourrait signifier la perte de la Bourgogne. Je crois que vous êtes parvenu à la même conclusion que moi.

PIERCE RATCLIFF

L’esprit collectif continuera à effondrer le probable en un réel prévisible. Mais à terme, sans la Bourgogne, assez de chaos aléatoire va s’infiltrer et nous rendre capables de manipuler le Réel de façon consciente… ou en utilisant la technologie. Il y aura des guerres. Des guerres dont le Réel sera la victime.

VAUGHAN DAVIES

La réalité de quelqu’un est toujours une victime, en temps de guerre, professeur Ratcliff. Mais oui. C’est ce qu’ont prédit les Feræ Natura Machinæ. L’univers infiniment irréel. Les guerres de miracles, si vous préférez.

PIERCE RATCLIFF

Il faut que je publie.

VAUGHAN DAVIES

Vous avez l’intention d’inclure ceci dans votre édition des documents Cendres ?

PIERCE RATCLIFF

Une fois que cela aura été rendu public, on ne pourra plus l’ignorer. Il doit y avoir une enquête ! Devons-nous cesser de pratiquer des expériences au niveau subatomique ? Faut-il en faire d’autres ? Sommes-nous en mesure de renforcer la Bourgogne ?

VAUGHAN DAVIES

Vous allez leur donner l’impression, vous me pardonnerez, que vous êtes totalement timbré, professeur Ratcliff.

PIERCE RATCLIFF

Je m’en fiche, tout est préférable à des guerres de « miracles »… !

[La porte s’ouvre. Des pas : un nombre indéterminé de gens qui entrent]

WILLIAM DAVIES

Je crois que ça suffira pour aujourd’hui.

VAUGHAN DAVIES

Vraiment, William. On peut m’accorder, me semble-t-il, que je connais mon propre état de santé.

WILLIAM DAVIES

Pas aussi bien que tes médecins. Je suis peut-être à la retraite, mais je reconnais l’épuisement quand je le vois. Le Pr Ratcliff reviendra te parler demain.

VAUGHAN DAVIES [inintelligible]

PIERCE RATCLIFF [inintelligible]

ANNA LONGMAN

Il faut que nous parlions, Pierce. Je suis passé au bureau. Nous avons besoin de prendre des décisions sérieuses, en ce qui concerne la publication, avant le week-end.

PIERCE RATCLIFF

Professeur Davies. [silence] C’est un honneur. Je vous reviendrai vous rendre visite demain.

[bruits indistincts de porte, bruit de chaises qu’on déplace]

VAUGHAN DAVIES

[inaudible] publier dès que possible. Nous avons besoin de l’aide de la communauté scientifique. [Bande endommagée] [inaudible] nouvelles recherches à l’échelle mondiale.

PIERCE RATCLIFF

[inaudible] n’avons aucune idée, non ? Du temps qu’il nous reste ? Avant qu’elle cesse complètement d’agir ?

[Fin de bande]

Annotation d’origine :

SUJET « VAUGHAN DAVIES » DÉPLACÉ LE 02/02/01 ████ À L’HÔPITAL POUR NOUVEAUX TESTS ET INTERROGATOIRE

La dispersion des ténèbres
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